La Forme Au Service Du Fond.

L’innovation est une discipline difficile.

Je ne compte plus le nombre d’entrepreneur.es, de porteuses et porteurs de projets, de conceptrices et concepteurs que j’ai le privilège d’accompagner, et qui m’appellent parfois dans des moments de profonds désemparement.

Quel que soit le sujet exact de notre conversation, les interrogations auxquelles ces personnes font face ont souvent des similarités troublantes…

Pour les illustrer, imaginons un instant que vous désiriez construire un maison.

Une façon classique de procéder serait la suivante :

> Vérifier préalablement que vos fondations sont solides

> Définir les plans

> Estimer combien l’opération coûtera

> Et enfin dresser les murs.

Vous pouvez procéder de cette façon pour quatre raisons essentielles :

> Les règles fondamentales qu’il vous faut respecter sont connues, explicites.

Ce sont celles de notre monde physique. Elles sont universelles et prévisibles.

> Vous seul.e choisissez la disposition des pièces qui constitueront votre maison.

Vous pouvez vous représenter bien avant que le moindre travaux ne soit entrepris à quoi elle ressemblera.

Parce qu’une maison est un objet connu, que vous en avez déjà visité beaucoup et que vous serez le/la seul.e à y vivre.

> Le coût approximatif et la durée moyenne de construction d’une maison sont aisément quantifiables

Parce qu’il s’agit de construire ce que vous avez convenu de construire, de préférence en une fois, et que les personnes qui construisent des maisons à longueur d’année arrivent à estimer raisonnablement les coûts des matériaux et de la main d’oeuvre de telles entreprises.

> Une fois votre décision prise, il ne s’agit plus de changer d’avis mais de respecter les plans convenus, sous peine de dépasser le budget.

La procédure est connue, les techniques de constructions éprouvées, fiables. Si le terrain est propice, si le plans sont validés, alors il n’y a pas de raison que l’affaire ne tienne pas debout. Il y aura certainement des petits ajustements à faire, mais rien de bouleversant.

Pour filer la métaphore, l’entrepreneuriat consiste à construire une maison qui tienne debout :

> Dans un monde où les lois de la physique ne sont pas connues, changent extrêmement rapidement et sont différentes pour chaque maison que vous construisez en fonction du moment où vous la construisez et des personnes qui vont vivre dedans. Où le fait que votre voisin ait réussi à bâtir sa maison ne garantit en rien que la vôtre résistera.

> Pour des résidents que vous ne connaissez pas bien, qui n’ont pas nécessairement conscience que vous êtes en train de leur bâtir une maison et qui n’en ont peut être même pas encore exprimés le souhait.

>En raisonnant à partir de ressources disponibles et non des ressources souhaitables. En se demandant quelle maison vous pouvez construire à date avec ce que vous avez, pour peu que la gravité soit la bonne et que les futurs occupants en aient quelque chose à faire.

> Sur un chantier qui peut être remis en question chaque semaine au fur et à mesure que les travaux avancent, la seule façon de vérifier que les fondations sont assez solides étant de poser peu à peu les murs et de voir si l’ensemble tient bon ou s’effondre.

Cette évolution constante du périmètre, ces aller-retours permanent entre fond et formes sont épuisants nerveusement.

Ils exposent la personne en charge du projet à de grandes incertitudes, de haut niveau de risque, une forte pression et parfois à d’immenses moments de solitude.

C’est pour cela qu’il est essentiel de considérer l’entrepreneuriat, l’innovation, la conception comme une discipline, une démarche encadrée, méthodique, rigoureuse, une aventure intellectuelle fondée sur la recherche de la preuve, sur la vérification systématique des faits.

Autant d’étapes et d’exercices complexes et exigeants, mais infiniment moins pénibles que ce sentiment d’impuissance quand vous avez l’impression persistante de dériver seul au milieu de la brume dans un monde auquel vous ne comprenez rien…